La spécificité américaine concernant les tueurs en série révèle des dynamiques sociales et criminologiques complexes à travers l’histoire.
- Les États-Unis ont concentré plus de 50% des serial killers mondiaux recensés, avec un pic dans les années 1970-1980 et un déclin notable depuis.
- Le profil type reste majoritairement masculin (95-96%), sans surreprésentation raciale, avec seulement 22% souffrant de troubles mentaux diagnostiqués.
- Les inégalités sociales et le déclassement apparaissent comme des facteurs déterminants, créant un besoin pathologique de contrôle et de pouvoir.
- La médiatisation excessive crée un effet de contagion documenté, transformant ces criminels en icônes culturelles problématiques.
Les États-Unis semblent abriter une concentration extraordinaire de meurtriers multiples. Selon les recherches d’Eric Hickey, 431 tueurs en série ont sévi aux États-Unis du début du 19e siècle à la fin du 20e siècle, contre seulement 300 recensés ailleurs dans le monde. Ce déséquilibre troublant signifie que plus de la moitié des serial killers mondialement recensés sont américains. Les années 1970-1980 marquent l’apogée de ce phénomène avec plus de 250 cas identifiés. Discover Magazine rapporte environ 770 tueurs en série actifs dans les années 1980, chiffre qui a ensuite décliné progressivement pour atteindre à peine plus d’une centaine entre 2010 et 2016. Comment expliquer cette spécificité américaine qui continue de attirer et d’inquiéter le monde entier?
Le profil type du tueur en série américain : mythes et réalités
Une écrasante majorité masculine
L’analyse des données criminelles révèle une constante indéniable : 95% à 96% des serial killers identifiés sont des hommes. Cette disproportion genrée mérite d’être examinée en profondeur. Selon les statistiques du FBI, les femmes représentent 17% des homicides en série aux États-Unis, alors qu’elles ne commettent que 10% du total des meurtres. Cette anomalie statistique suggère des différences fondamentales dans les motivations et méthodes. Les analyses comportementales attestent que les hommes adoptent généralement une approche de « chasse », traquant des victimes inconnues. À l’inverse, les meurtrières en série privilégient une stratégie de « cueillette », ciblant des personnes de leur entourage, souvent pour des motifs financiers selon les recherches de la professeure Marissa Harrison.
Au-delà des stéréotypes raciaux
Contrairement aux représentations médiatiques dominantes, les tueurs en série blancs ne sont pas surreprésentés dans ce sombre tableau. Leur proportion correspond approximativement à leur représentation démographique dans la population américaine (73,9%). Les données sur les tueries de masse confirment cette distribution, avec 54% à 70% des événements perpétrés par des individus blancs. Des cas emblématiques comme Ted Bundy (responsable d’au moins 36 meurtres dans les années 1970), Jeffrey Dahmer (17 victimes entre 1978 et 1991) et John Wayne Gacy (33 victimes entre 1972 et 1978) ont profondément marqué l’imaginaire collectif, mais ne doivent pas masquer la diversité des profils.
La question des troubles mentaux
L’explication par la maladie mentale, souvent invoquée, s’avère insuffisante face aux données scientifiques. Michael Stone, psychiatre renommé de l’université Columbia, a établi que seulement 22% des tueurs de masse étudiés souffraient de pathologies mentales diagnostiquées. D’autres facteurs apparaissent plus déterminants : 70% étaient décrits comme des solitaires chroniques, 61% luttaient contre diverses addictions et 43% avaient subi des situations de harcèlement. Un indicateur particulièrement troublant émerge des études criminologiques : la cruauté envers les animaux durant l’enfance constitue souvent un signal d’alarme, établissant un lien entre les violences commises sur les animaux et celles perpétrées ultérieurement contre des êtres humains.
| Période | Nombre estimé de tueurs en série aux États-Unis | Nombre de victimes (année représentative) |
|---|---|---|
| Années 1980 | Environ 770 | 189 (1987) |
| Années 1990 | Moins de 670 | Non spécifié |
| 2000-2010 | Environ 400 | Non spécifié |
| 2010-2016 | Un peu plus de 100 | 30 (2015) |
L’impact des inégalités sociales sur l’émergence des tueurs en série
Le lien entre précarité et violence extrême
L’explosion des meurtres en série dans les années 1970-1980 coïncide précisément avec l’aggravation des inégalités économiques aux États-Unis. Les politiques néolibérales, particulièrement celles mises en œuvre sous l’administration Reagan, ont profondément transformé le tissu social américain : baisse des salaires pour les classes laborieuses, réduction drastique des aides sociales, délocalisations massives des sites industriels. Ces bouleversements économiques ont fait des États-Unis la nation la plus inégalitaire parmi les pays développés, avec corrélativement le taux d’homicides le plus élevé. Les recherches en criminologie établissent une relation directe entre l’augmentation de la pauvreté lors des crises économiques et la recrudescence des crimes violents, incluant les meurtres multiples.
Le déclassement social comme facteur déclencheur
Un examen approfondi des parcours de vie révèle que la majorité des serial killers américains proviennent des classes populaires et ont généralement vécu une forme de régression sociale ou de déclassement. Cette « frustration sociale » génère chez certains individus un besoin pathologique de puissance et de domination compensatoire. Ted Bundy, dont les aveux glaçants éclairent cette psychologie déviante, expliquait : « Quand on est seul avec une victime, on devient un dieu. On a pouvoir de vie ou de mort. Il y a un incroyable sentiment de puissance, et c’est ce qui nous nourrit pendant un certain temps. » Cette quête de contrôle absolu sur autrui apparaît comme une tentative désespérée de compenser un sentiment profond d’impuissance sociale.
Les victimes invisibles de la société
Les tueurs en série sélectionnent fréquemment leurs victimes parmi les populations marginalisées : travailleuses du sexe, toxicomanes, sans-abri, habitants des quartiers défavorisés. Samuel Little, considéré comme le pire serial killer de l’histoire américaine avec 93 victimes avouées entre 1970 et 2005, justifiait ses choix par le fait que la disparition de ces personnes passait généralement inaperçue. Cette stratégie macabre illustre comment les inégalités sociales créent des catégories de population « sacrifiables » aux yeux de certains prédateurs. L’indifférence institutionnelle envers ces disparitions a parfois permis à des meurtriers de poursuivre leurs crimes pendant des décennies sans être inquiétés.
- Facteurs sociaux favorisant l’émergence des tueurs en série : inégalités économiques extrêmes, délitement du tissu communautaire, sentiment d’exclusion sociale, manque de perspectives d’ascension sociale
- Facteurs individuels aggravants : traumatismes infantiles non traités, isolement social, exposition précoce à la violence, sentiment de déclassement, fascination pour d’autres tueurs médiatisés
La fascination médiatique et l’effet de contagion
Quand les tueurs en série deviennent des icônes culturelles
La culture américaine a développé une fascination troublante pour les serial killers, transformés en figures quasi mythiques par la fiction populaire. Films d’horreur, romans policiers, séries télévisées et podcasts true crime contribuent à cette glorification médiatique qui peut encourager certains individus perturbés à rechercher une notoriété similaire. L’anthropologue Denis Duclos suggère que cette culture qui adopte de tels « monstres » comme références culturelles pourrait elle-même engendrer davantage de violence, et que l’américanisation des cultures populaires risque de propager ce modèle de criminalité à d’autres pays.
L’effet domino des tueries médiatisées
Les recherches scientifiques confirment l’existence d’un phénomène de contagion sociale. Des chercheurs des universités d’Arizona et de l’Illinois ont démontré que chaque tuerie de masse médiatisée accroît significativement la probabilité d’un événement similaire dans les treize jours suivants. De nombreux tueurs en série étudient méticuleusement les méthodes d’autres criminels avant de passer à l’action, cherchant souvent à justifier leurs actes par des manifestes faisant référence aux actions d’autres tueurs largement médiatisés. Cette contamination psychologique crée un cycle morbide d’émulation et de surenchère létale.
- Causes du déclin récent des tueurs en série aux États-Unis : avancées de la police scientifique et utilisation systématique de l’ADN, peines de prison plus longues pour les criminels violents, meilleur suivi psychologique des personnes à risque, prudence accrue de la population, omniprésence des caméras de surveillance
Le déclin récent : une évolution des médias et de la société
Heureusement, les statistiques récentes révèlent une diminution significative du nombre de serial killers actifs aux États-Unis. Cette régression s’explique par plusieurs facteurs complémentaires : les avancées spectaculaires de la police scientifique permettent d’identifier et d’appréhender plus rapidement les criminels, limitant le nombre potentiel de victimes. L’allongement des peines pour les premiers homicides réduit mécaniquement les risques de récidive. Le suivi psychologique des personnes ayant connu des traumatismes infantiles s’est considérablement amélioré. Enfin, la population elle-même a adopté des comportements plus prudents : « Les gens ne font plus de stop, ils disposent de moyens d’alerte en cas d’urgence, et la vidéosurveillance s’est généralisée », limitant ainsi les opportunités pour les prédateurs potentiels.